Désagrément quo­ti­dien subi par les ensei­gnants de tous niveaux, le bavar­dage est pour­tant rare­ment évoqué dans les médias ou dans la lit­té­ra­ture spé­cia­li­sée. Enseignante de phi­lo­so­phie, Florence Ehnuel y consacre un ouvrage pour lever le voile sur la souf­france des ensei­gnants qui y sont confron­tés et pro­pose quelques solu­tions pour y mettre fin.

Votre livre s'appelle Le bavar­dage, parlons-en enfin. Vous déplo­rez dès le titre le manque de com­mu­ni­ca­tion autour du bavar­dage, même entre ensei­gnants. Pourquoi ce tabou ?

Le bavar­dage n'est pas un phé­no­mène nou­veau, il remonte à 30 ou 40 ans. Et pour­tant, nous autres pro­fes­seurs, nous croyons encore que si les élèves bavardent dans les classes, c'est notre faute, c'est parce que nous ne sommes pas bons. Soit parce que nous n'avons pas d'autorité natu­relle, soit parce que nous ne fai­sons pas de cours d'assez bonne qua­lité, assez cap­ti­vants ou assez vivants. Donc nous avons honte, et nous n'en par­lons pas. Cela revien­drait à avouer que nous sommes de mau­vais pro­fes­seurs. J'ai l'impression que la situa­tion s'améliore depuis un ou deux ans : nous com­men­çons à évoquer le sujet pen­dant les conseils de classe, nous l'écrivons par­fois sur les bul­le­tins sco­laires. Il est impor­tant que les ensei­gnants prennent conscience que ce n'est pas de leur faute ; même s'il y a des cas par­ti­cu­liers, le bavar­dage ne relève pas du pro­fes­seur, c'est un phé­no­mène de société.

Vous-même, en tant qu' "ensei­gnante bavar­dée", comme vous vous défi­nis­sez, vous avez expé­ri­menté plu­sieurs méthodes pour réta­blir l'écoute de vos élèves. Quelle atti­tude est typi­que­ment inutile face à une classe bavarde ?

Il est tota­le­ment inutile de débattre du bavar­dage avec les élèves, de les rai­son­ner, tant qu'ils ne savent pas se taire, qu'ils ont le réflexe de par­ler. On peut dia­lo­guer de beau­coup de choses avec eux, mais pour le bavar­dage cela ne sert à rien. L'école doit avant tout leur apprendre à écou­ter. Attention égale­ment à ne pas trop exi­ger des élèves. Ils ne peuvent pas être atten­tifs et concen­trés 8h par jour. Il faut ins­tau­rer une variété d'exercices, avec des moments où l'on écoute et des moments où l'on peut dia­lo­guer avec les voi­sins, lors d'activités en groupe par exemple. Enfin, la mise en place d'un cadre très strict, avec un sys­tème de sanc­tions, pour leur faire com­prendre qu'en classe on ne bavarde pas, est essen­tielle. Ce sont les trois grands axes qui pour­raient chan­ger les choses. Après, il y a de petites méthodes qui per­mettent d'obtenir de bons résultats.

Pouvez-vous m'en citer une ?

Il n'y a pas de règles uni­ver­selles. Le plus impor­tant est d'adapter la méthode à sa classe. Dans la mienne, pour l'instant, ce qui marche le mieux, en plus de varier les exer­cices, est d'appliquer une gra­da­tion dans les sanc­tions. Au pre­mier aver­tis­se­ment, j'indique à l'élève que je le chan­ge­rai de place s'il conti­nue à bavar­der. Au deuxième rap­pel, je le déplace, au troi­sième, je lui donne un devoir à faire sur place et au qua­trième, je l'exclus.

Il est impor­tant d'être strict, mais pas trop non plus. Un petit conseil donné par mes élèves eux-mêmes : il faut défi­nir des règles dès le début de l'année et constam­ment les rap­pe­ler et s'y tenir. Effectuer par exemple un rap­pel après chaque période de vacances. Maintenir son auto­rité est en effet l'une des tâches les plus dif­fi­ciles. Ce n'est pas ce qu'on a envie de vivre avec nos élèves, mais c'est essentiel.

Vous par­lez dans votre livre de faire inter­ve­nir les parents. Comment peuvent-ils col­la­bo­rer avec l'enseignant pour résoudre ce pro­blème de bavardage ?

Si un élève est signalé comme bavard par l'enseignant, les parents doivent abso­lu­ment faire le point avec lui. Il faut savoir que les pro­fes­seurs ne men­tionnent la ten­dance au bavar­dage que si celle-ci est par­ti­cu­liè­re­ment gênante, tou­jours à cause de ce pro­blème de honte. Cela signi­fie que l'élève n'a aucune maî­trise de l'écoute. Il faut aussi en dis­cu­ter régu­liè­re­ment avec l'enfant, ne pas l'évoquer qu'une fois. Je crois que les parents pensent que le bavar­dage est ano­din, mais c'est grave. C'est grave jus­te­ment parce que ça se fait dans l'impunité. Si un élève inju­rie un pro­fes­seur, il s'expose, il sait qu'il va être sanc­tionné. Lorsqu'il bavarde, il ne le sera pas forcément.

Vous incri­mi­nez le déve­lop­pe­ment des nou­velles tech­no­lo­gies d'information et de com­mu­ni­ca­tion, qui pri­vi­lé­gient le "zap­ping", pour jus­ti­fier la ten­dance des élèves à se dis­per­ser et à bavar­der. Ne faudrait-il pas adap­ter les modes d'enseignement à l'évolution de la société, en pro­po­sant aux élèves de tra­vailler avec Facebook et Twitter, comme le font déjà cer­tains pro­fes­seurs ?

J'ai effec­ti­ve­ment essayé une année de créer un groupe sur Facebook pour la classe. Cela n'a rien donné, ils n'allaient jamais sur la page. Par contre, je ne l'utilisais pas en classe, car je trouve ça assez ter­rible d'utiliser Facebook ou Twitter pen­dant le cours. Lorsque je suis avec mes élèves, si je com­mence à mettre un ordi­na­teur entre nous, j'aurais l'impression de deve­nir un poste de télévision !

Je pense que les nou­velles tech­no­lo­gies peuvent être utiles, mais si elles ne sont pas accom­pa­gnées d'un appren­tis­sage de l'écoute et de la concen­tra­tion et asso­ciées à un sys­tème de sanc­tions, elles ne ser­vi­ront à rien.

Dans les com­men­taires d'un article du Figaro par­lant de mon livre, beau­coup expriment l'idée qu'il est absurde de faire des cours en pré­sence et pré­co­nisent d'envoyer les cours aux élèves par Internet. C'est signi­fi­ca­tif du fait que les gens croient que l'écoute est avant tout une affaire de medium. J'y vois une extrême naï­veté des gens qui croient que l'ordinateur va don­ner à leurs enfants la capa­cité d'apprendre. Les nou­velles tech­no­lo­gies per­mettent certes de varier les exer­cices, mais pas de régler le pro­blème d'écoute. Il n'est pas absurde de dire que le bavar­dage peut-être le symp­tôme d'une école à réin­ven­ter, mais je pense qu'on ne fera jamais l'économie d'apprendre à écou­ter et à se concentrer.

Florence Ehnuel

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