L’expérience de l'écrivain Sylvain Tesson, prix Médicis Essais 2011, parti s'isoler six mois dans une cabane en Sibérie fascine. De leur côté, les voyagistes haut de gamme proposent avec succès des programmes « seul(e) au bout du monde ». Fuir la ville, se couper de tout pour mieux se retrouver... Serait-ce le dernier luxe de l'époque ?

Oubliez vos rêves de Robinson des îles. Le paradis du moment célébré dans le New York Times, c’est à Fontainebleau qu’on le trouve. Une retraite rustique chic comme les Français osent faire. Sans eau courante ni électricité. Mais avec beaucoup de style. Bienvenue chez la créatrice Isabel Marant et le designer Jérôme Dreyfuss : une cabane en bord de rivière, longée de roses trémières hirsutes et de buissons de lavande ébouriffés.

Enième manifestation de la new modesty ?

Le mot est lâché : cabane. L’époque en raffole, se l’approprie sous toutes ses formes. La designer Matali Crasset a bâti la sienne dans la Meuse, le complexe Cala Rossa en Corse a tenté une version ultra-luxe en bord de crique, d’autres essaient sur l’herbe (trempée) du Kent, dans la savane, et même sur un radeau... Pas une saison sans qu’on voie apparaître une nouvelle fournée de huttes étoilées, chambres d’hôtes perchées, mazots convertis en mini-chalets au pied des pistes... Une énième manifestation de la new modesty, cette tendance qui renoue avec les comportements responsables ? Ou bien un besoin devenu vital de reconquérir ces territoires oubliés que sont le temps, l’espace, le silence...?

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"Le luxe de l’ermite, c’est la beauté"

Cette mise à l’écart, l’écrivain Sylvain Tesson est allé la chercher loin. De février à juillet 2010, au fin fond de la Russie, pour six mois d’isolement forcé, au bord du lac Baïkal. Son Journal de cabane est un magnifique traité sur la vie au ralenti. Devant le paysage : « Le luxe de l’ermite, c’est la beauté. » Face à l’ennui : « Voilà que je m’intéresse à la poussière, le mois de mars va être long. » Qu’est-ce qui pousse à un tel exil ? « Il ne s’agit pas de disparaître, mais du fantasme de disparaître », répond quant à lui l’Américain Alec Soth. Pour son projet Broken Manual, il s’était donné comme défi de photographier des ermites modernes, qui veulent disparaître de la carte et ne plus laisser de traces. Le photographe de Magnum est donc parti à la recherche de grottes, et, au Nouveau-Mexique et dans le Montana, la réalisatrice Laure Flammarion l’ a accompagné sur 30 000 km. Il en ressort un magnifique documentaire, Somewhere to Disappear. .

Sur une cinquantaine de rencontres dans ce projet, seulement trois femmes. La déconnexion n’est pas systématique (parfois tous les outils du monde moderne sont à proximité, ou bien reste une radio) Le dénominateur commun est toujours la force d’attraction d’une nature divine. Filmée dans le documentaire, la cabane de l’écrivain Jim Harrison au fond du Montana « nous donnait l’impression d’être arrivés au bout de quelque chose, la neige amplifiant cette impression de vallée imaginaire », commente la réalisatrice.

Rêver d’être seul au monde, une lubie d’artiste ? L’agence de tourisme Exclusif Voyages distingue depuis deux ans chez ses clients une tendance qui s’amplifie : « Il s’agit d’une véritable volonté de vivre des moments forts et uniques, d’accéder à d’immenses espaces isolés, où le luxe s’exprime dans l’expérience elle-même, même si le confort hôtelier n’est pas toujours privilégié. On peut traverser les steppes de la Mongolie, rencontrer les tribus ethniques dans le nord du Laos, sillonner les Galapagos... »

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Désirs de liberté et de silence

Ou, plus proche, rejouer l’expérience du berger d’estive, isolé dans son buron de pierres, petit habitat monacal des hauts pâturages du Cantal. En effet, il existe bien un voyage insolite (proposé par Un jour en Auvergne) direction Niercombe, et une véritable merveille secrètement nichée à 1h45 d’Aurillac. Le confort est simple, pas d’électricité mais un grand poêle à bois et une déco de rêve zen. Une nuit passée là-haut suffit pour qu’une forme singulière de jet lag s’installe. « La cabane est un laboratoire. Une paillasse où précipiter ses désirs de liberté, de silence et de solitude », écrit Sylvain Tesson. Dans une prairie ou ailleurs, mais toujours à distance du monde, un temps de repos.

Comment, ensuite, se reconnecte-t-on ? Sylvain Tesson nous répond : « Le passage brutal de la profusion d’espace et de silence au parc urbain est douloureux. Après avoir disposé du don des heures libres, il est affreux de se replonger dans un temps disséqué, saucissonné, maîtrisé. En six mois d’absence j’ai trouvé que mes proches étaient encore un peu plus intoxiqués par le cancer du portable qui détruit le flux de la durée des heures, saccage le temps, abolit la conversation et empêche la méditation. » La nouvelle tentation Robinson distille des vacances où l’on se serait même débarrassé de la lettre «s ». « La vacance », du latin « vacare », être libre (de tout engagement)...


« Lâcher prise, cela passe souvent par le corps »

Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre à l'Hôpital Saint-Anne

Ce « je veux disparaître », l'entendez-vous souvent ?

J’entends mes patientes, des femmes occupant des postes à hautes responsabilités, me dirent : « Je veux couper, je me sens fatiguée. » Mais la plupart du temps, elles ne font pas le lien entre ces plaintes et ces nouveaux troubles relevant souvent du burn-out car, elles considèrent cela comme normal.

Conseillez-vous ce temps de la coupure ?

C’est un apprentissage. Cependant je pense que

pour pouvoir lâcher prise, il faut déjà se sentir bien. Cela passe souvent par le corps.

Sommes-nous égaux devant le besoin de solitude ?

Entre l’homme et la femme, le mode d’expression est différent. Il est rare qu’eux disent : « J’ai envie de couper. » Ils le font parfois sans explication. La femme a besoin de l’expliquer, voir de le justifier, car, plus emphatique, elle exprime souvent cette nécessité du lien. La coupure au bout du monde est rarement envisagée. L’envie d’être seul, dans ces conditions, me paraît davantage masculine.


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