"Le système scolaire semble profiter à ceux qui en connaissent les rouages: les anciens bons élèves aujourd'hui devenus parents."

Plus de 150 000 jeunes achèvent chaque année leur scolarité sans aucun diplôme. Notre contributrice, blogueuse sur Décryptages, décortique les responsabilités de chacun des membres du "trio de la réussite", parents, enfants, et école.

Le système scolaire français laisse sortir chaque année 100 000 jeunes (sur 800 000) âgés de 16 ans ne sachant pas du tout -ou quasiment pas- lire. Chaque année, ce sont 150 000 jeunes d'une classe d'âge qui achèvent leur scolarité sans aucun diplôme, dont 60 000 sans aucune qualification. Comment peut-on en arriver là?

La réussite scolaire est le fruit d'une coproduction faisant intervenir au moins trois acteurs, comme l'explique le sociologue Daniel Verba: les parents, les enseignants et les enfants eux-mêmes. "Les parents, d'abord, puisque ce sont eux qui créent les conditions de réussite, en procurant à l'enfant une sécurité matérielle et affective. Les enseignants sont censés compenser les défaillances scolaires ou culturelles des familles en délivrant des enseignements adaptés à tous les enfants. Enfin, les enfants eux-mêmes contribuent à leur manière à cette réussite en répondant positivement ou négativement aux préconisations des adultes."

La Famille

La famille offre à l'enfant ses premiers apprentissages: lorsqu'il apprend à parler, quand il découvre les couleurs ou le partage équitable ou encore lors de la lecture d'une histoire à l'heure du coucher. Ce sont là les fondements du parler, lire, compter. Et selon un rapport du Haut Conseil de l'Éducation paru en 2007, "les enfants qui bénéficient à la maison d'un environnement favorable aux premiers apprentissages réussissent nettement mieux que les autres." C'est donc bien la famille qui pose une première pierre à l'édifice scolaire, avant même que l'enfant n'entre à l'école.

L'élève

Puis l'élève entre à l'école. Et ces premières années de scolarité peuvent révéler de nouvelles disparités entre les enfants. Handicap mental, simple retard, ou plus courants troubles spécifiques des apprentissages... Les raisons pour qu'un élève démarre fragilement sa scolarité sont nombreuses. Ainsi, chaque année, un enseignant doit s'attendre "à avoir dans sa classe au moins deux élèves ayant un trouble spécifique des apprentissages", explique la psychologue Roselyne Guilloux, dans son ouvrage L'effet domino "dys". Et de fait, les enseignants ont du mal à s'adapter à la spécificité de ces enfants.

Le système scolaire

Résultat: aucune des inégalités ne semble compensée par l'école. "Hyperactifs, enfants ayant des troubles de l'attention, dyslexiques ou handicapés: ils ont besoin d'une aide individualisée. Et le système français est incapable de leur offrir. En France, on a des orthophonistes, des psychologues, des psychiatres, mais ils ne sont pas dans la classe. Il n'existe quasiment pas de lien entre ces spécialistes, les parents et l'école en dehors du Réseau d'aides spécialisées aux enfants en difficultés (Rased) qui disparaissent en raison des économies budgétaires", s'indigne Peter Gumbel, auteur de On achève bien les écoliers.

D'autre part, "l'école parvient de plus en plus difficilement à rééquilibrer les disparités socio-économiques car au lieu de les combattre comme on pourrait s'y attendre, elle tend à les reproduire en diversifiant l'offre de formation selon des critères sociaux et parfois raciaux", reconnait le sociologue Daniel Verba. De plus, le système scolaire semble profiter à ceux qui en connaissent les rouages: les anciens bons élèves aujourd'hui devenus parents. Les parents qui ont un souvenir douloureux de leur scolarité auront du mal à dialoguer avec les enseignants.

L'école et ses enseignants

Or, en repoussant les familles de son sein, elle se prive d'un précieux allié pour combattre l'échec scolaire. "L'école n'est pas très accueillante. À l'école maternelle, lors des réunions d'information, on fait asseoir les parents sur des sièges et derrière des tables conçues pour des enfants de trois ans... Les rencontres trimestrielles avec les enseignants de collèges ou de lycées sont de véritables parcours du combattant où, debout, en troupeaux serrés devant les salles, les familles patientent parfois plusieurs heures pour être reçues, le tout dans une absence totale de confidentialité ", décrit le sociologue Daniel Verba. Et ce rejet devient mutuel.

"En miroir, on peut alors observer les mêmes défiances qui émanent des familles et qui se traduisent parfois par des agressions verbales et par la diffusion de représentations très négatives du système scolaire qui poussent certains parents à fuir l'école publique pour se tourner vers les écoles privées censées assurer un meilleur encadrement des enfants et un accueil plus chaleureux des familles."

La spirale de l'échec scolaire restera-t-elle figée?

Les réformes de gauche comme de droite ont été nombreuses pour combattre l'échec scolaire. Pour autant, rien ne semble permettre aux parents de trouver leur place dans ce système. Et le ton s'est même durci: les parents des élèves décrocheurs tentés par l'absentéisme sont désormais sanctionnés par la loi Ciotti, entrée en vigueur en 2011. "En culpabilisant les parents, on les soumet à la double peine: non seulement la plupart de ces parents souffrent de la situation dans laquelle se trouvent leurs enfants, mais ils doivent en plus s'en voir assigner la responsabilité. Quand en plus on décide de leur supprimer les allocations familiales pour défaut de contrôle c'est à une triple peine qu'on les condamne", réagit à ce propos Daniel Verba.

De leur côté, les parents des moyens et des bons élèves surenchérissent en dehors de l'école pour pousser leurs enfants vers la réussite: soutien ou perfectionnement scolaire, psy, orthophoniste, voire coach si besoin. Et l'écart entre les bons élèves et les plus faibles continue de croitre. Inexorablement?

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